Aujourd’hui (14.06.2021 ndrl) , j’annonce la conclusion de l’examen préliminaire de la situation en République des Philippines (les « Philippines »), au terme duquel j’ai demandé aux juges de la Cour l’autorisation d’ouvrir une enquête.

Ainsi que je l’ai déclaré en décembre 2019 lors de la session annuelle de l’Assemblée des États parties, avant de quitter mes fonctions de Procureur de la Cour pénale internationale (la « CPI » ou la « Cour »), j’ai l’intention de parvenir à une décision dans l’ensemble des situations ayant fait l’objet d’un examen préliminaire au cours de mon mandat, dans la mesure du possible et conformément aux obligations qui m’incombent en vertu du Statut de Rome. À cette occasion, j’avais également indiqué que plusieurs examens préliminaires donneraient très vraisemblablement lieu à l’ouverture d’une enquête.

La situation aux Philippines fait l’objet d’un examen préliminaire depuis le 8 février 2018. Pendant cette période, mon Bureau s’est attaché à analyser un volume important d’informations accessibles au public et de renseignements qui nous ont été communiqués au titre de l’article 15 du Statut. Au terme de cette analyse, j’ai déterminé qu’il existait une base raisonnable permettant de croire que le crime contre l’humanité de meurtre avait été commis sur le territoire des Philippines entre le 1er juillet 2016 et le 16 mars 2019, dans le cadre de la campagne dite de « guerre contre la drogue » menée par le Gouvernement philippin. Le Bureau ne prend pas position sur les politiques et initiatives internes menées, dans le respect de la loi et de manière régulière, par les gouvernements, quels qu’ils soient, afin de lutter contre la production, la distribution et la consommation de substances psychoactives et, dans le cas présent, il agit en parfaite conformité avec son mandat spécifique et clairement défini ainsi que ses obligations en vertu du Statut de Rome. Au terme d’un examen préliminaire approfondi, il ressort des informations disponibles que des fonctionnaires de la police nationale philippine, et d’autres personnes agissant de concert avec eux, auraient illégalement tué plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers de civils pendant cette période. Mon Bureau a également passé en revue des informations portant sur des allégations de torture et d’autres actes inhumains, ainsi que sur des événements connexes survenus dès le 1er novembre 2011, date à laquelle la Cour a commencé à exercer sa compétence à l’égard des Philippines. Nous estimons que toutes ces allégations justifient la tenue d’une enquête.

Conscients des défis opérationnels majeurs auxquels sera confronté le Bureau si la Chambre préliminaire autorise l’ouverture d’une enquête, nous avons également pris un certain nombre de mesures afin de recueillir et de préserver des éléments de preuve, en prévision d’une éventuelle enquête. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre des pouvoirs dévolus au Procureur par le Statut de Rome au stade de l’examen préliminaire et, lorsqu’il y avait lieu, nous avons demandé et reçu l’autorisation des juges pour ce faire. En effet, depuis quelques années, les Chambres préliminaires de la Cour insistent de plus en plus sur l’importance pour la Cour d’user pleinement des pouvoirs dont elle dispose pour préserver les éléments de preuve et protéger les personnes en danger, avant l’ouverture d’une enquête. Nous avons agi avec diligence, en conformité avec ces orientations.

Le 12 avril 2021, sur la base de cette conclusion, et après mise en œuvre de ces mesures dont certaines ont été retardées par la pandémie mondiale, j’ai fait savoir à la Présidence que j’avais l’intention de présenter au titre de l’article 15 du Statut une requête, que j’ai déposée le 24 mai 2021. Aujourd’hui, j’ai déposé une version publique expurgée de cette requête, par souci de transparence, de même que pour en informer les victimes, ainsi que le prévoit la règle 50-1 du Règlement de procédure et de preuve de la Cour.

Malgré le retrait des Philippines du Statut de Rome de la CPI qui a pris effet le 17 mars 2019, et à l’instar de ce qu’elle avait déterminé dans le contexte de la situation au Burundi, la Cour continue d’exercer sa compétence sur les crimes qui auraient été commis sur le territoire des Philippines pendant la période au cours de laquelle ce pays était partie au Statut de Rome. De plus, ces crimes sont imprescriptibles.

Mon mandat en qualité de Procureur prendra bientôt fin. La responsabilité de l’enquête sur la situation aux Philippines, si elle est autorisée, incombera à mon successeur hautement qualifié, M. Karim Khan. À cet égard, et sous sa direction, il est clair que le Bureau devra déterminer la façon dont il fixera les priorités dans cette enquête à la lumière des difficultés liées aux opérations auxquelles il est confronté en raison de la pandémie actuelle, du manque cruel de ressources à la disposition de la CPI et de sa lourde charge de travail. Ces facteurs ont d’ailleurs été l’un des points clés abordés au cours des échanges que j’ai pu avoir avec mon successeur au sujet de la transition et du transfert de la charge de travail du Bureau.

Comme je l’ai affirmé à de nombreuses reprises par le passé, la Cour est aujourd’hui à la croisée des chemins dans plusieurs situations dont elle est saisie pour lesquelles il existe clairement des fondements juridiques et factuels justifiant l’ouverture d’une enquête, mais où les moyens opérationnels pour mener à bien ces enquêtes manquent cruellement. Cet état de fait exige non seulement des efforts de hiérarchisation des priorités de la part du Bureau, que nous continuons de déployer, mais aussi l’ouverture de franches discussions avec l’Assemblée des États parties, et d’autres parties prenantes du système mis en place par le Statut de Rome, afin d’évaluer les véritables besoins en ressources de la Cour pour pouvoir remplir efficacement son mandat. Le Bureau est actuellement confronté à une inadéquation criante entre les situations pour lesquelles le Procureur est tenu d’agir conformément au Statut de Rome et les ressources dont il dispose pour ce faire. Alors que mon mandat touche à sa fin, je réitère la nécessité d’engager une large réflexion du point de vue stratégique et opérationnel sur les besoins de l’institution et l’objectif qu’elle cherche à atteindre – en résumé une réflexion honnête sur les responsabilités collectives qui nous incombent en vertu du Statut de Rome afin de faire progresser la lutte contre l’impunité pour les crimes atroces. Les victimes de ces crimes odieux n’en méritent pas moins.

CPI