Ce sont deux Nantais d’une vingtaine d’années. Physiquement, tout les oppose. Le premier est long et fin à l’image de sa cravate. Crâne rasé, mains dans le dos, il se tient droit comme un cierge. Le second est de petite taille, chevelu, tributaire d’un corps peu porté sur l’activité physique. Habillé tout en noir, il lui arrive de croiser les bras nonchalamment en attendant la prochaine question de la présidente. Ce qui les rassemble, c’est un goût prononcé pour l’ordre et la sécurité. Sapeur-pompier volontaire, le grand a pour objectif d’intégrer le bataillon des marins-pompiers de Marseille. En attendant, il fait de la mise en rayon chez Leclerc. Le petit est serveur dans une crêperie. Son rêve de carrière dans la police nationale s’est envolé après un entretien de motivation peu convaincant au concours d’adjoint de sécurité. Ça a également coincé pour le concours de gendarme adjoint volontaire. La faute à cette procédure peu banale qui valait aux deux amis de comparaître fin novembre en audience à juge unique pour violences, port d’arme et immixtion dans une fonction publique.

L’affaire remonte au 21 août 2019. Ce soir-là, les deux prévenus décident d’aller profiter des terrasses nantaises. Non sans prendre quelques précautions. L’un se munit d’une bombe lacrymogène et l’autre embarque une matraque télescopique. « Pour quoi faire ? » interroge la présidente. Le petit : « Vous connaissez comme nous l’atmosphère pesante qui règne dans le centre-ville avec l’augmentation du nombre d’agressions, il n’y a qu’à voir les actualités. – Ça reste à prouver, et peu importe, ce n’est pas une raison pour s’armer ainsi », rétorque la juge, quadra menue aux cheveux courts et au débit mitraillette. – Ce soir-là c’était pas nécessaire de s’équiper », finit par concéder l’homme.

La soirée se déroule bien. Sur le chemin du retour, alors qu’ils traversent le cours des 50 Otages, le duo découvre une jeune femme endormie sur un banc, près de l’arrêt de tram de la place du cirque. Le petit s’approche d’elle. « C’est la BAC, réveillez-vous ! » hurle-t-il. « Police nationale, veuillez nous suivre en cellule de dégrisement », tient bon d’enchaîner son acolyte. Dans le brouillard d’un réveil alcoolisée, prise de panique, la femme se lève et pousse vivement le petit. Le grand lui vient en aide en effectuant une saisie puis une balayette. Tombée au sol, la victime se prend alors une rasade de lacrymogène par le petit. « J’ai agi pour nous protéger face à une personne hystérique qui était revenue à la charge », se défend-t-il. Dans la manœuvre, la projection de gaz atteint le visage d’un cycliste à deux boyaux de valdinguer.

« Je pensais vraiment agir comme un bon citoyen »

La présidente écarquille les yeux en parcourant le procès-verbal de constatation. « Pourquoi ne pas simplement vous éloigner d’elle et à la rigueur appeler police secours, demande-t-elle. – Nous avons pensé qu’elle avait besoin d’aide, tente le petit. – Mais pas du tout, il y a un vrai problème dans votre comportement », sermonne la présidente. Au tour du grand de revenir à la barre : « Je pensais vraiment agir comme un bon citoyen, avec mon élan de pompier depuis que j’ai 13 ans. Pour moi il n’y a eu aucune violence, j’ai maitrisé cette femme selon des techniques professionnelles, j’en ai l’habitude. » Une fois la gazeuse rangée, le petit a appelé la police. Il se présente comme un gars de la maison demandant des renforts. Ne comprenant pas très bien à qui il a affaire, l’opérateur envoie une patrouille pour éclaircir la situation. Au final, ce sont les deux faux policiers qui sont embarqués.

« Il y a deux possibilités, grogne la procureure en préambule de ses réquisitions. Soit on assume, soit on minimise en tenant des propos qui ne servent pas la vérité. Nous sommes face à deux jeunes hommes qui ont une obsession pour l’uniforme. Sauf qu’il faut savoir rester humble et ne pas s’immiscer dans la vie privée des gens quand on ne porte pas cet uniforme. Cette procédure met à mal leurs projets professionnels, mais ils ont bien été les auteurs de violences gratuites, sans aucune démarche d’assistance comme ils veulent bien le raconter. Les déclarations de la victime et d’un témoin confirment qu’ils se sont fait passer pour des fonctionnaires de police. » Des peines de jours-amende sont requises.

La défense, évoquant le « flou artistique de cette procédure », plaide la relaxe pour les violences. « Il s’agit davantage de mauvais réflexes, d’ailleurs aucune interruption totale de travail n’a été notifiée », pose l’avocate des deux prévenus. Relaxé pour le délit d’immixtion dans une fonction publique, le pompier est condamné pour les violences et le port d’arme à 60 jours-amende à six euros. Il échappe néanmoins à l’inscription de la condamnation au bulletin numéro 2 de son casier judiciaire. Ce n’est pas le cas de son ami, faute de justificatifs. Déclaré coupable des trois chefs de prévention, il écope de 90 jours-amende à six euros. Absente à l’audience, la victime ne s’était pas constituée partie civile.