« À quand remonte vos premières difficultés avec l’alcool », demande la présidente. Laurent, 40 ans, teint mat, coupe à la Sébastien Folin, calligraphie chinoise dans le cou, soupire en plongeant dans ses souvenirs. Sa réponse met plusieurs secondes à sortir. « J’ai commencé à boire en 2002 je dirais, quand je suis arrivé à Nantes. J’étais à la rue, j’ai rencontré des gens dans des squats et j’ai fait comme eux. » Depuis 18 ans, la vie de Laurent se confond avec une grosse gueule de bois. Son casier, garni de 25 mentions, regorge d’affaires en lien plus ou moins direct avec l’éthylisme. Sa dernière histoire avait fait causer à Ancenis, la commune du nord de Nantes où il vit depuis plusieurs années. Fin octobre 2019, Laurent avait vandalisé quatre commerces du quartier des Arcades. Il avait commencé par attaquer la vitrine de la brasserie avec un porte-parasol avant de fracturer les portes d’entrée de l’agence de voyage et de la boulangerie. Mais c’est la fleuriste qui avait le plus morflé, Laurent saccageant sa boutique sans toucher à la caisse ni au matériel informatique. Le coup de main nocturne des autres commerçants avait cependant permis à la fleuriste de rouvrir rapidement. Le lendemain, les gendarmes avaient été cueillir l’auteur présumé à son domicile. « J’ai déconné à cause de l’alcool », expliqua-t-il en garde à vue. Jugé dans la foulée, Laurent fut condamné à dix mois de prison ferme plus huit mois de sursis avec mise à l’épreuve.

Ce coup-ci, il s’en est pris à un couple de retraités qui ne perd pas une bribe de l’instruction détaillée de la présidente. La femme est âgée de 69 ans, et son mari en a 74. Le 4 novembre dernier, monsieur faisait sa sieste quand Laurent a déboulé de nulle part en donnant un coup de pied dans la porte du jardin. 14 h n’avaient pas sonnées et Laurent était sur un os de la veille. « J’ai été mangé chez des amis et on a trainé à table », présente-t-il. Vers 4 h, réalisant que le gueuleton avait bien dérapé, il a appelé son patron pour l’informer qu’il ne faudrait pas compter sur lui le lendemain. Deux jours par semaine, Laurent bosse sur des chantiers. En complément, il fait des ménages. Après le coup de fil, il a continué à s’enivrer. « J’ai encore des images de conscience jusqu’à 6h30, 7 h », se remémore-t-il. En le voyant traverser le jardin et s’approcher d’elle, la propriétaire n’a pas spécialement eu peur. Dans un sursaut de courtoisie, Laurent a simplement demandé s’il pouvait avoir de l’eau. Tout en lui précisant que la porte de jardin ne lui avait rien fait, la femme est allée chercher une bouteille en verre à la cuisine. Elle prenait également soin d’héler son mari à l’étage. À peine était-elle revenue vers Laurent que celui-ci lui arrachait la bouteille des mains et courait vers les escaliers. Arrivé en haut, il tombait nez à nez avec le mari qui manquait de le stopper dans sa course. Laurent commençait à faire le tour des pièces, ouvrant les armoires en hurlant « Où est l’argent ? » L’homme parvenait ensuite à le ceinturer mais Laurent récupérait la bouteille et la lui éclatait sur le front. Quand un voisin alerté par les cris arriva, Laurent était positionné à califourchon sur le retraité, façon ground and pound en MMA. Une intervention qui le fera finalement détaler.

« Je voudrais vraiment m’excuser parce que ça me ressemble pas, ni pour l’argent ni pour la violence », lâche-t-il. La présidente : « Vous reconnaissez avoir commis des violences alors, en garde à vue vous disiez vous souvenir de rien… » Laurent réfléchit quelques secondes. « Le seul truc que je me rappelle c’est de me battre avec monsieur, je savais pas que c’était une personne âgée. Mais pour moi la bagarre c’était dehors. » Mauvaise réponse. Après être sorti de la maison, Laurent a couru près d’un kilomètre en direction des bords de Loire, sous les cris des passants. Les gendarmes l’ont retrouvé étalé sur l’herbe, inconscient. « Vous étiez au bord du coma éthylique, avec du cannabis dans vos poches », remarque la présidente. « J’ai plus bu que fumé », tient bon de préciser Laurent. Sur le banc de la partie civile, les deux victimes jettent un regard dépité en direction du box. Avant l’audience, le couple a pris le temps d’échanger avec l’avocate de Laurent, posant les questions de ceux qui franchissent les portes d’un prétoire pour la première fois. Le mari s’est vu notifier deux jours d’interruption totale de travail et garde une légère cicatrice au crâne. Il se lève pour prendre la parole. « Pourquoi nous ne demandons pas de dommages et intérêts ? Parce qu’on en a pas besoin déjà. Nous avons fait le déplacement pour marquer le coup. Si ça avait été une femme seule, les choses auraient pu très mal se terminer. Nous sommes des gens, disons, euh… résiliants. Mais je veux que monsieur comprenne bien que ce n’est pas le cas de tout le monde. »

Le procureur, bonne quarantaine d’années de moins que le retraité, semble sous le charme de l’intervention. Mais il s’avoue démuni au moment de requérir. « Tout a été déjà prononcé et je suis bien sceptique sur le fait de mettre quoi que ce soit en place », se désole-t-il. « Nous avons d’un côté des victimes dignes et courageuses et de l’autre une délinquance incompréhensible, celle d’un individu qui se met tellement minable que ça en devient dangereux pour la société. » Il demande quatorze mois de prison avec mandat de dépôt plus six mois assortis d’un sursis probatoire avec l’obligation de reprendre les soins en addictologie. « L’addiction est le fond de ce dossier », rebondit l’avocate en défense. Celle-ci rappelle que Laurent n’a jamais cherché à minimiser l’ampleur de faits qu’il a lui même qualifiés d’intolérable lors de son défèrement. « Quand il travail il ne fait pas de mauvaises choses », ajoute-t-elle avant de demander au tribunal de laisser une dernière chance à Laurent devant le juge d’application des peines. Le dernier mot est pour lui. « Je suis prêt à faire des efforts, je sais que je peux mener une vie normale », tente-t-il de convaincre. Après délibération, le tribunal prononce une peine d’une année de prison ferme plus deux mois de révocation d’un précédent sursis. Pour la deuxième année consécutive, Laurent passera les fêtes en cellule, loin de ses deux filles qu’il recommençait à voir de temps en temps.

Épris de justice