
Il apparaît très risqué de se livrer à un exercice aussi périlleux que délicat qui consiste à aborder la notion de laïcité, une question aussi sensible que controversée. Partant de là, le travail qui s’annonce ici ne prétend nullement à l’exhaustivité encore moins à la perfection. C’est pourquoi, il reste et demeure ouvert à toute observation objective.
Tout d’abord, il parait nécessaire de préciser le terme ‘’laïcité’’. En effet, ce mot dérive du latin ‘’lacus’’ qui donne laïc. L’adjectif qualificatif laïc désigne le caractère d’une personne ou d’une institution n’appartenant à aucune institution religieuse. Donc, est laïc ce qui est areligieux.
Sur le plan politico-juridique, le lexique des termes juridiques définit la laïcité comme « un principe d’organisation et de fonctionnement des services de l’Etat et de toutes les autres personnes publiques selon lequel, l’Etat est non confessionnel (areligieux ou non religieux) ». Il apparait une certaine indifférence de l’Etat dans le domaine religieux comme l’affirmait Jacques Chirac dans son discours du 17 décembre 2003 sur la laïcité « c’est la neutralité de l’espace public qui permet la coexistence harmonieuse des différentes religions ».
La laïcité comprend, donc la neutralité de l’Etat, le pluralisme religieux et l’acceptation des différences. Cette conception entraine au moins deux conséquences majeures : le principe de la liberté religieuse(I) et la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions(II). Tels sont des axes sur lesquels nous projetterons notre analyse, avant de clôturer sur la nécessité de concilier liberté religieuse et exigences de l’ordre public dans un Etat de droit.
I-Le principe de la liberté religieuse
Le principe de la liberté de culte sera abordé sous l’angle de ses fondements(A) et du contenu du principe(B).
A-fondements juridiques du principe de la liberté religieuse
La liberté de culte est consacrée dans presque tous les instruments juridiques nationaux et internationaux. Ainsi, l’article 7 de la constitution guinéenne dispose « chacun est libre de croire, de penser et de professer sa foi religieuse, ses opinions politiques et philosophiques ». La liberté de culte apparaît comme une liberté fondamentale dont la protection est garantie par le constituant guinéen pour la soustraire dans son principe, à l’emprise des pouvoirs législatif et exécutif.
Ensuite, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dispose, en son article 18 que « Toute personne a droit à la liberté de pensée , de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ». En dépit de sa nature non contraignante, la Déclaration reste un outil de référence dans la consécration des droits humains. Sa réception et sa reconnaissance par les autres instruments juridiques internes et internationaux lui donnent toute sa force ; car elle demeure « un idéal commun à atteindre ».
En outre, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques consacre cette même liberté en son article 18 dans les mêmes termes presque que le Déclaration. Nous l’aborderons dans les lignes qui suivent.
Quant à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, elle dispose en son article 8 « la liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion sont garanties. Sous réserve de l’ordre public, nul ne peut être l’objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés »Il est clair donc que la liberté de culte est une liberté fondamentale protégée par la constitution et les traités contraignants.
Mais que renferment concrètement ces instruments en matière de liberté religieuse ? La réponse à cette question conduit à aborder le contenu de ce principe.
B-Contenu du principe de la liberté religieuse:
La liberté de culte consacrée par les textes recouvre plusieurs aspects que nous analyserons suivant l’article 18 du Pacte précité qui parait très pertinent en la matière.
En effet, cet article consacre la liberté de culte pour toutes les convictions (théiste ou non). En son alinéa 1er, il dispose que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement ».
L’élargissement de la liberté religieuse au droit « d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix » implique la faculté de changer de religion. C’est justement cette large ouverture de cet article qui explique les réserves à son sujet de certains Etats musulmans,l’Arabie Saoudite en tête, (elle s’était abstenue lors de l’adoption du Pacte) qui consacrent l’Islam comme « religion de l’innéité » (article 10 de la Déclaration du Caire) et qui prohibent l’apostasie. C’est pourquoi, la majorité des pays musulmans n’a pas ratifié le Protocole additionnel instituant le comité des droits de l’homme.
Dès lors, la liberté de manifester sa religion revêt deux aspects : la liberté sur le plan interne et la liberté sur le plan externe.
Sur le plan interne, elle pose moins de problème puisqu’elle intéresse les convictions intimes de l’individu qui ne sauraient avoir d’impacts sur l’ordre public.
Quant au plan externe, il peut s’étendre à plusieurs actes, pratiques et signes, puis qu’il implique de manifester sa foi. Ce qui peut avoir des conséquences sur l’ordre public.Ainsi, elle comprendra non seulement les rites et pratiques cultuelles comme la prière, les formules de repentance, le port de vêtements et symboles religieux, la barbe …mais aussi et surtout la construction de lieux de culte et accessoires (mosquées, églises, centres d’apprentissage). La liberté de culte implique également le respect de certaines prescriptions en matière d’alimentation, d’immolation, de jours de repos, de fêtes par les adeptes…(Le Comité des droits de l‘homme). Alors, le port du voile dans une école est-il un signe ostentatoire ou une manifestation de la liberté religieuse ? Sur ce plan, le Comité des droits de l’homme ne partage pas la position majoritaire en Europe qui y voit un signe ostentatoire (la loi sur la burqa en France et l’Observation N°22, 27 sept 1993 du Comité)
En outre, l’alinéa 4 consacre aux parents et tuteurs légaux le droit d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions religieuses.
Sur le plan collectif, la liberté religieuse implique de manifester sa foi en public et au sein de ses coreligionnaires par l’enseignement et autres actes attachés au culte sans aucune ingérence étatique (affichages, processions, cérémonies, activisme religieux : Affaire Kokkinakis Grèce, CEDH 25 mai 1993.
C’est cette indifférence de l’Etat vis-à-vis des religions qu’il convient d’aborder à présent.
II-la neutralité religieuse de l’Etat, composante essentielle de la laïcité
La neutralité religieuse de l’Etat met à sa charge des obligations négatives(A) et des obligations positives justifiées par le contexte national(B).
A-Les obligations négatives de l’Etat en matière religieuse.
Dans la plupart des Etats laïcs, la séparation de la religion et de la politique est un ancrage dont les contours sont définis par les textes constitutionnels ou législatifs. Ainsi, l’aricle 14 de la Constitution guinéenne dispose « Le libre exercice des cultes est garanti, sous réserve du respect de la loi et de l’ordre public. Les institutions et les communautés religieuses se créent et s’administrent librement ».
Le Conseil Constitutionnel français, dans sa décision QPC du 23 février 2013 affirme « Il en résulte la neutralité de l’Etat », « il en résulte également que la République ne reconnait aucun culte, que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi …. Que celle-ci ne salarie aucun culte ». L’analyse combinée de ces deux sources prouve que les Etats laïcs doivent rester à égale distance des cultes (pour ceux qui en hébergent plusieurs).
Ainsi, ils ne doivent pas intervenir dans le fonctionnement des cultes en désignant par exemple leurs responsables ou en leur imposant les taxes prohibitives pour freiner leur multiplication, ni les prendre en charge financièrement ou privilégier un culte majoritaire sur les minorités religieuses de leur juridiction.
De plus, les hommes politiques et hauts responsables ne doivent pas afficher leur foi à travers des signes religieux ou des jugements de valeurs sur la légitimité de telle ou telle religion. Cette neutralité s’applique également aux médias d’Etat qui ne doivent privilégier aucun culte.
Donc, il résulte de ce passage que la puissance publique doit s’abstenir d’empêcher les citoyens de pratiquer les cultes de leur choix sous réserve de certaines nécessités locales.
B-Les obligations positives de l’Etat en matière religieuse
Telle que prévue par les textes internes et internationaux, la liberté religieuse n’est pas absolue dans son aspect externe. La constitution guinéenne pose comme limite à la liberté de culte le respect de l’ordre public (article 14). Cette notion aux contours mouvants selon plusieurs critères est une épée d’Damoclès qui pend sur les droits et libertés.Ainsi, pour éviter les ingérences arbitraires des Etats dans la liberté de culte, l’article 18-3 du PIDCP spécifie les motifs et conditions des atteintes en disposant que « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre public et de la santé publique ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui »
Il apparaît donc que les interventions de l’Etat dans la liberté de culte doivent être légales, nécessaires et surtout proportionnelles aux objectifs poursuivis. Alors, un acte administratif peut-il limiter une liberté fondamentale ? Il est clair que non. En tout cas, c’est à cette conclusion qu’est parvenu le Tribunal Suprême espagnol dans l’affaire portant sur l’interdiction du voile intégral dans l’espace public par l’Ayuntamiento de Lérida en Catalogne (Trib sup, esp., 7è section, 6 fév. 2013).
Aussi, la Tunisie a récemment interdit le port du voile intégral dans les institutions publiques pour les motifs sécuritaires. Cette décision semble motivée par le dévoiement du port du voile intégral à des fins criminelles. L’option peut se justifier si elle satisfait aux conditions du Pacte.
. Bref, il est normal que l’Etat lutte contre les dérives des groupements religieux comme des appels à la haine, à la violence en les définissant préalablement dans un arsenal juridique. Le Niger a adopté le 17 juin 2019, non sans contestations, une loi accentuant le contrôle de l’Etat sur les communautés religieuses en vue de contrer d’éventuelles dérives.
Ainsi, dans la plupart des Etats laïcs, la frontière entre le religieux et le politique n’est aussi tracée qu’on le pense. Par exemple, la fourniture en eaux et en électricité des lieux de culte, en Guinée, n’est pas onéreuse. De plus, le personnel enseignant des écoles publiques franco-arabe est pris en charge par l’Etat guinéen. Il faut ajouter aussi que les secrétaires généraux des affaires religieuses sont choisis par leurs pairs avant d’être confirmés par décret.Donc, le degré d’implication des Etats dans la sphère religieuse dépend des réalités locales, si bien qu’on constate une application de la laïcité à géométrie variable (récurrence de conflits confessionnels, menaces terroristes, montée des Extrêmes droites, prédominance d’une religion…).
En définitive, il faut donc dire que le contenu de la laïcité dépend du contexte national de chaque Etat. C’est ce qui ressort de l’arrêt Leyla Sahin c Turquie CEDH, 10 Nov. 2005 « la réglementation en la matière [le port de symboles religieux dans les établissements publics] peut varier en conséquence d’un pays à l’autre en fonction des traditions nationales et des exigences imposées par la protection des droits et libertés d’autrui ». Donc, expulser les candidates aux examens nationaux, en Guinée, sur la base d’une décision ministérielle, parce qu’elles portent le voile est une mesure disproportionnée et sans base juridique. Les autorités auraient dû ménager un équilibre entre le souci d’identification des candidates, pour éviter la fraude, (ce qui est noble) et la liberté religieuse de celles-ci en les faisant identifier par des surveillantes, par exemple. Bref, c’est une violation de la liberté religieuse.
Karifala Camara, citoyen guinéen.